RĂ©guliĂšrement, ICONO interview des artistes, crĂ©atifs, et leur rapport Ă la technologie et lâIA. Aujourdâhui, nous interviewons Edouard Delcourt, concepteur-rĂ©dacteur chez Fred & Farid. AprĂšs un premier lion Ă Cannes pour PathĂ©, deux golds au Grand Prix StratĂ©gies de la PublicitĂ© pour son travail pour Urgence Homophobie et La Ligue Nationale de Rugby, il nous parle de son parcours et son rapport Ă lâIA.
Bonjour, merci de mâavoir accordĂ© ce temps pour cette interview. Pouvez-vous me prĂ©senter votre parcours et comment vous ĂȘtes arrivĂ© dans le monde de la publicitĂ© ?
Jâai fait des Ă©tudes de droit et de lettres Ă la fac, oĂč je me suis vite ennuyĂ©, un peu en lettres, beaucoup en droit. Jâai commencĂ© Ă me demander ce que jâaimais vraiment faire. Jâaime bien Ă©crire. Donc, je me suis orientĂ© vers un mĂ©tier oĂč on Ă©crit, il me restait le journalisme ou la communication.
Les premiers cours de Conception-rĂ©daction Ă lâEFAP, finissent de me convaincre dâĂȘtre concepteur-rĂ©dacteur. Je fais un stage chez Grenade & Sparks, ça se passe bien, ils me gardent et je ne retourne jamais Ă lâĂ©cole, cool. Encore plus cool, jây rencontre Alexandra Puchnaty, ma premiĂšre DA.
Ensemble, on a gagnĂ© quelques concours Ă©tudiants comme les Mlle Pitch Creative Awards ou les Chatons dâOr. On commence Ă se faire un petit book et on cherche une agence pour sâĂ©panouir crĂ©ativement.
On fait le tour des agences et on rencontre Olivier Lefebvre chez Fred & Farid, super feeling, Ăa commence par des projets en freelance. Puis tout dĂ©but 2020 on rentre Alpro en pitch, et lĂ , folie, il nous prend en CDI et nous apprend Ă peu prĂšs tout ce quâon sait.
Depuis, Alex est partie en freelance comme DA Luxe (appelez-la !), et moi je suis toujours chez FF en team avec une nouvelle DA, Pauline Lesage, avec qui câest tout aussi gĂ©nial.
Voilà , en résumé mon parcours, 6 ans dans la pub dont bientÎt 4 chez Fred & Farid.
Pour en revenir Ă ton duo crĂ©atif avec Pauline, quâest-ce que ça apporte de travailler Ă deux sur quelque chose de crĂ©atif ?
Ăa apporte des points de vue complĂ©mentaires. On nâapprĂ©hende pas un brief de la mĂȘme maniĂšre. Je pense mĂȘme quâon est chacun, DA et rĂ©dac, obsĂ©dĂ©s par lâimage ou les mots, au point dâavoir besoin du point de vue de lâautre pour ĂȘtre un crĂ©atif complet.
Par exemple, aujourdâhui, on regarde un print quâelle venait de monter : une DA magnifique, sauf quâil manquait un mot Ă lâaccroche.
On rentre chacun dans un brief par une porte différente mais en confrontant nos idées et nos univers, on arrive à se retrouver au milieu du chemin.
Je commence toujours un brief, mĂȘme pour un film ou une activation, par Ă©crire une page dâaccroches. Pauline prend des inspirations sur Pinterest ou autre, puis on confronte tout ce que le brief nous a inspirĂ©. âTiens, des accroches, tâen penses quoi ? Ăa te parle ? â âTiens, des images, un travail de photographe⊠ça tâinspire quoi ?â
Puis on mĂ©lange, on synthĂ©tise, on affine, on crafteâŠCâest ce qui fait quâensemble, on arrive souvent Ă faire bien mieux et plus complet que ce que chacun avait en tĂȘte. Parfois un bouclage ou un naming vient parfaire une idĂ©e visuelle ou une activation, parfois une mise en page ou un procĂ©dĂ© de shoot vient magnifier une idĂ©e ou des mots.
Comment est-ce que tu restes informé des derniÚres tendances, notamment en matiÚre de technologie dans la publicité ?
Jâai un peu flinguĂ© mes rĂ©seaux sociaux avec des comptes de pub en tout genre. Sauf Instagram oĂč je garde encore juste mes amis et mes passions hors taf. Par contre, jâai noyĂ© mon feed Twitter, qui parle maintenant 30% de foot, et 70% de pub et de techno. Et LinkedIn Ă©videmment, mais ça câest normal.
Lâagence a Ă©galement mis en place des revues de tendances hebdomadaires oĂč lâon fait le point sur les informations importantes de la semaine dans notre secteur. Ăa me permet de rester Ă jour facilement.
On a aussi dans notre Ă©quipe des juniors qui sont passionnĂ©s des derniĂšres innovations, notamment en intelligence artificielle. Ils nous tiennent informĂ©s naturellement. Big up Ă ClĂ©ment, un motion designer, qui a commencĂ© Ă nous parler dâIA il y a trois ans, Ă nous montrer des trucs. Avant jâenregistrais mes voix maquettes sur mon tĂ©lĂ©phone, il me disait âattends, tu veux quoi ? Une voix dâhomme, de femme ?â et il me gĂ©nĂ©rait ça Ă la minute.
Perso, jâai mĂȘme pas 30 ans, mais ça ne me passionne pas. Je vois ce que ça peut mâapporter, mais ça ne me passionne pas en tant que tel.
Mais évidemment, on en parle. à mon avis, dans toutes les agences, on en parle beaucoup.
Quâen pensez-vous, comment voyez-vous lâutilisation future de lâintelligence artificielle dans la publicitĂ© ?
Je pense quâon va passer par une phase, peut-ĂȘtre dĂ©jĂ rĂ©volue, oĂč les marques voudront absolument faire quelque chose avec lâIA par effet de mode. On a vu des campagnes avec de lâIA sans rĂ©elle plus-value, juste pour cocher la case.
Mais Ă terme, je crois que lâIA sera surtout utilisĂ©e comme outil de production, par exemple pour la recherche dâimages ou la gĂ©nĂ©ration de contenus. Ăa nous laissera nous concentrer sur lâidĂ©e crĂ©ative.
En revanche, ce qui me fait peur câest pour certains mĂ©tiers comme les roughmen ou les infographistes, dont le travail pourrait ĂȘtre automatisĂ©. Par contre pour les crĂ©atifs, je pense que lâhumain gardera toujours sa valeur ajoutĂ©e, notamment sur la singularitĂ© des idĂ©es.
LâIA ne remplacera pas notre esprit critique ou notre capacitĂ© Ă sortir des sentiers battus, Ă crĂ©er avec aspĂ©ritĂ©s, de lâabsurde, de lâhumanitĂ© en fait. Et de toute façon, une marque ne confierait jamais sa stratĂ©gie et sa crĂ©ation Ă une machine. Sans mĂȘme parler que ça ferait des jobs sans rapport humain dont absolument personne ne veut. Donc mĂȘme si certains mĂ©tiers peuvent ĂȘtre impactĂ©s, je ne crois pas que nos jobs soient vraiment en danger.
Mais dĂšs maintenant, lâIA est un super assistant. Sâen priver câest comme se priver de Photoshop ou des images bank, câest refuser un gain de temps prĂ©cieux.
Ăa pose quand mĂȘme un problĂšme, câest la confusion qui se crĂ©e entre les maquettes et la campagne. De plus en plus, on a souvent lâimpression de devoir faire la campagne avant de la produire. Et ça tue la production value, Ă laquelle je suis trĂšs attachĂ©.
Je pense que, aussi bon crĂ©atif quâon soit, on a besoin du point de vue de rĂ©alisateurs, de photographes, de producteurs. Ils ont leur regard, leur talent, leur sensibilitĂ©, leur patte.
Ils apportent énormément à nos projets.
LâidĂ©e quâon puisse produire facilement avec lâIA nous renvoie Ă la mode du snack content, lâidĂ©e quâil faudrait produire beaucoup et pas cher pour Ă©merger. Je pense tout lâinverse.
Pour finir, avez-vous vu des exemples dâutilisation de lâIA dans la publicitĂ© qui vous ont semblĂ© pertinents ?
Oui, jâai vu des choses gĂ©niales. Par exemple, en Inde, Cadbury avait permis via lâIA Ă des petits commerçants Indien de crĂ©er leur propre publicitĂ© avec Shah Rukh Khan, la grande star indienne. Câest smart, et surtout impossible Ă faire il y a quelques annĂ©es.
Il y a aussi eu lâexemple de #SeguimosHablando. Un journaliste mexicain assassinĂ© par le rĂ©gime, recréé en deepfake pour continuer Ă dĂ©noncer la corruption de maniĂšre anonyme, sans risquer dâĂȘtre assassinĂ©. CâĂ©tait une utilisation avec du sens de cette technologie.
Ou Heinz, dont la plateforme âIt has to be Heinzâ a toujours Ă©tĂ© sur le fait que la marque soit le top of mind de la catĂ©gorie. En gros, Ketchup = Heinz. Et en effet, en demandant Ă une IA des images de Ketchup, ils nâont gĂ©nĂ©rĂ© que du Heinz et en ont fait des prints.
Je pense quâelle peut apporter quelque chose tant quâelle sert une idĂ©e crĂ©ative forte. AprĂšs il y a deux choses, les campagnes dont lâidĂ©e repose sur lâIA, comme plus haut, et les campagnes âclassiquesâ qui vont ĂȘtre produites avec de lâIA.
Je ne parle mĂȘme pas de lâIA qui rĂ©flĂ©chit ou crĂ©e Ă ta place. Ăa sera trĂšs utile pour gĂ©rer des petits sujets, mais pas, Ă mon avis, pour crĂ©er de grandes campagnes.
Reste lâIA qui exĂ©cute, pour la crĂ©ation dâimages dâimages notamment, je trouve ça cool. En tout cas, ce qui compte et comptera toujours, câest lâidĂ©e. LâIA ne sera quâun outil, mais formidablement puissant sâil est bien utilisĂ© au service de la bonne idĂ©e.